Traces digitales - vapeurs d'iode - Coulier 1863 - Latent fingerprints - iode fuming
« Les vapeurs d’iode employées comme moyen de reconnaître l’altération des écritures, par M. Coulier » (1863)
M. Coulier, professeur de chimie au Val-de-Grâce, a fait une application intéressante de la chimie à l’expertise légale. C’est une observation analogue, en principe, à celle des images de Moser, ou, si l’on veut, une extension pratique de l’opération fondamentale de la daguerréotypie.
On sait depuis M. Niepce de Saint-Victor, le digne et savant neveu du créateur de la photographie, que si l’on expose une gravure à l’action des vapeurs d’iode, ce corps se fixe en bien plus grande quantité sur les noirs de la gravure que sur les blancs ; on peut, de cette manière, reproduire une gravure sur une plaque de métal.
En répétant cette dernière expérience, M. Coulier a remarqué que toutes les fois qu’une substance étrangère était déposée, même en quantité infiniment petite, à la surface du papier, l’iode en accusait immédiatement la présence par son inégale condensation.
En général, l’iode révèle, avec une admirable promptitude, les plus légères modifications physiques de la surface du corps exposé à son action. M. Coulier a eu l’idée de tirer parti de cette propriété pour l’exploration des actes falsifiés.
L’appareil qui fournit les vapeurs d’iode se compose d’une cuvette de photographe, un peu profonde, dont les bords son usés à l’émeri et qui peut se fermer à l’aide d’une glace rodée. On y dépose un mélange de trois à quatre parties d’iode avec cent parties de sable fin. La feuille de papier, couverte d’écriture sur laquelle on veut expérimenter, est fixée sur la glace avec un peu de cire, puis on la place par-dessus la cuvette à iode, et on l’y laisse séjourner de quinze minutes à une heure, selon les circonstances.
La rosée d’iode qui, par l’évaporation spontanée de ce corps, se dépose à la surface du papier, rend très apparents les caractères qui auraient été tracés à l’aide d’une plume neuve trempée dans l’eau, et à fortiori une écriture faite avec une solution quelconque. On a donc, dans ce procédé, un moyen de découvrir si le papier a été recouvert d’une encre étrangère. Cette réaction est d’une telle sensibilité, qu’elle permet encore de lire des caractères tracés avec une plume neuve sèche, métallique ou autre. L’iode forme aussi des taches dans les points où l’on a opéré des grattages ou bien des lavages par des réactifs. Quelquefois même, les caractères primitifs qui avaient été détruits, reparaissent en noir ou en blanc, sur un fond plus ou moins teinté, et viennent, comme des revenants, témoigner de la fraude.
Il est arrivé plusieurs fois à M. Coulier d’obtenir des taches sur les points où ses doigts avaient touché le papier. Quand le doigt a été appliqué sur le papier sans frottement, les taches iodurées reproduisent avec une merveilleuse fidélité les papilles de la peau, et comme celles-ci forment des dessins variés à l’infini, tout comme les lignes de la main, il en résulte qu’il ne serait pas impossible de reconnaître à ces vestiges l’individu qui aurait touché le papier. Il suffirait de faire poser les doigts de la personne mise en cause sur une feuille de papier blanc, et d’exposer ensuite cette feuille aux vapeurs d’iode ; on obtiendrait de cette manière des vignettes qui pourraient être comparées, à l’aide d’une loupe ou d’un compas, à celles dont il faut déterminer l’origine.
Il ne faut pas oublier pourtant que le réseau des papilles des doigts n’est pas nécessairement invariable, et que la peau pourrait subir avec le temps assez de changements pour devenir méconnaissable par ce seul caractère. Une autre difficulté, c’est que les doigts glissent le plus souvent sur le papier, et que, dès lors, l’image ou la trace qu’ils y laissent devient confuse. Ce n’est donc que dans le cas assez rare où il y a eu simple contact qu’on pourrait identifier ainsi les empreintes des doigts.
M. Coulier pense que la trace dont il s’agit est produite par des matières grasses qui se déposent sous la pression du doigt, car si on nettoie préalablement le papier avec de l’ammoniaque, la vignette formée par l’iode est presque nulle.
Ces diverses images provoquées par le dépôt de la vapeur d’iode sont très fugitives ; l’humidité les détruit, en colorant tout le papier en bleu. Abandonnées à elles-mêmes, elles pâlissent et disparaissent à la longue. En renfermant un de ces dessins entre deux glaces, M. Coulier a pu le conserver intact pendant plus d’un mois. On peut encore les conserver en les plongeant dans l’acéto-nitrate d’argent, puis en les lavant et les exposant à la lumière diffuse pendant une seconde environ. On les développe ensuite dans l’acide gallique, comme s’il s’agissait d’un négatif sur papier ; enfin on les fixe par les procédés connus.
Voilà assurément des phénomènes bien délicats, des actions physiques qu’il serait difficile de faire passer dans la pratique des experts des tribunaux. Mais ce qui recommande l’ingénieux procédé du professeur du Val-de-Grâce, c’est qu’il n’altère en rien la pièce soumise à l’examen, et qu’on est toujours libre d’avoir recours subsidiairement aux autres méthodes en usage en pareil cas[1].
Reproduit in: Quinche, Nicolas, éd., "Crime, science et identité: anthologie des textes fondateurs de la criminalistique européenne (1860-1930)". Genève: Slatkine, 2006, pp. 89-91.
[1] « Les vapeurs d’iode employées comme moyen de reconnaître l’altération des écritures, par M. Coulier », in L’année scientifique et industrielle, 8e année, 1863, pp. 157-160.
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