Histoire de la police scientifique en Europe. Nicolas Quinche

Histoire de la police scientifique en Europe. Nicolas Quinche

Reiss - leçon inaugurale à l'Université de Lausanne 1906

LES METHODES SCIENTIFIQUES DANS LES ENQUÊTES JUDICIAIRES ET POLICIERES (1906)

 

Leçon inaugurale de la chaire de photographie scientifique avec ses applications aux enquêtes judiciaires et policières (Police scientifique) à l’Université de Lausanne.

 

                                                par M. le professeur R. A. Reiss

 

            L’humanité progresse. Mais elle ne progresse pas seulement du côté du bien, mais aussi du côté du mal. Nos savants physiciens, chimistes, techniciens cherchent à améliorer nos procédés scientifiques ou techniques existants ou à les remplacer par d’autres, meilleurs, et les malfaiteurs utilisent leurs découvertes pour perfectionner leurs procédés criminels. N’avons-nous pas vu ces dernières années des cambrioleurs se servir des méthodes des plus récentes pour la fonte de l’acier et cela dans le but d’ouvrir des coffres-forts pour s’emparer de leur contenu ? De lâches criminels n’ont-ils pas employé, ce dernier temps, des explosifs les plus puissants et les plus scientifiquement préparés pour tuer nombre d’innocentes victimes ?

            Oui, il faut l’avouer, la criminalité est en progrès et ses moyens d’action se raffinent avec le progrès de la science.

            C’est aux magistrats, et à la police qu’incombe la défense de la partie honnête de la population contre la partie criminelle ou plutôt inassimilable. Mais il incombe aux mêmes aussi de retrouver, le crime une fois commis, l’auteur du forfait ; il leur incombe enfin de déjouer si possible les machinations des malfaiteurs afin de prévenir de nouveaux crimes. Cette découverte du criminel et de ses complices, s’il y en a, devient de plus en plus difficile et cela à cause de la facilité des communications qui permettent de très grands déplacements en fort peu de temps, et aussi à cause du plus grand raffinement avec lequel les forfaits (surtout les attentats contre la propriété) sont commis.

            Les anciens moyens policiers d’il y a cinquante ans ne suffisent plus pour cela, aujourd’hui ; il faut combattre le criminel à armes égales, le surpasser, si possible en finesse et ceci n’est possible que par l’introduction de méthodes scientifiques dans les enquêtes judiciaires. Cette application des méthodes scientifiques dans les enquêtes judiciaires est de date récente. Elle est due aux efforts d’éminents criminalistes et scientifiques comme Bertillon, Gross, Minovici frères, Lacassagne, Galton, Henry, etc. , et est devenue une branche scientifique spéciale connue sous le nom de « Police scientifique ».

            Dans un travail intéressant présenté au sixième congrès international d’anthropologie criminelle à Turin, notre collègue et ami Alfredo Niceforo définissait cette nouvelle science comme suit : « La police scientifique est l’application des connaissances scientifiques aux recherches de procédure criminelle, destinées à établir l’identité d’un sujet et à déterminer la part qu’un individu, ou un objet a pris dans une affaire criminelle. » Personnellement, nous ajouterons encore : « et la connaissance du mode de travail des différentes catégories de criminels, connaissance obtenue par l’étude sur le vif du monde des malfaiteurs. »

            Nous allons maintenant passer en revue rapidement l’application des connaissances scientifiques aux recherches de procédure criminelle ; mais disons de suite que la photographie y joue un très grand rôle.

            Nous avons là à examiner en première place les investigations sur le lieu du crime. Elles comprendront l’étude topographique du lieu, l’inspection du cadavre, la recherche des traces, des empreintes et des taches, et celle des pièces à conviction.

            L’étude topographique devrait se faire toujours par la photographie accompagnée par quelques croquis. Ces derniers deviennent même aujourd’hui la plupart du temps inutiles, car, dans l’admirable appareil métrique Bertillon, nous possédons un instrument qui nous permet de lire sur la photographie immédiatement les distances et la grandeur des différents objets représentés et de dresser un plan exact de l’endroit photographié.

            Nous avons défini, dans notre ouvrage « la photographie judiciaire » le rôle qui incombe à la photographie prise sur les lieux, de la façon suivante :

            1. Elle sera un document indiscutable pris automatiquement et reproduisant fidèlement les faits. Le magistrat chargé d’une enquête a ainsi un moyen de mettre à tout moment devant ses yeux l’image exacte de l’endroit où a eu lieu l’événement. La photographie constituera, par conséquent, une sorte de mémoire artificielle du magistrat instructeur. Et celui-ci a souvent besoin de cette mémoire artificielle et infaillible. En effet, pendant le temps qu’il a passé sur les lieux lors de son enquête, il est censé avoir tout examiné et en avoir pris note. Cela est très bien en théorie, mais en pratique il se peut que certains détails, qui lui ont échappé, deviennent d’une importance capitale au cours de l’instruction. L’objection que, dans ce cas, l’enquêteur n’a qu’à retourner sur les lieux pour rechercher et constater la présence ou l’absence de ces détails, ne tient pas debout. Ce constat tardif, en effet, est impossible dans la plupart des cas, parce que l’aspect général du lieu a tout à fait changé.

Les cas, où une reconstitution fidèle des faits n’est plus possible, mais s’impose quand même, ne sont pas rares. La photographie nous fournit le moyen d’opérer cette reconstitution. On peut donc dire qu’une bonne photographie offre une reconstitution permanente du constat, toujours à la disposition de celui qui doit mener l’enquête judiciaire.

La nécessité de fixer sur la plaque photographique l’image du constat ne s’impose pas seulement pour corriger les oublis et les interprétations erronées, mais aussi pour réparer un phénomène d’ordre purement psychologique. En effet, il est reconnu depuis longtemps que nous ne voyons que ce que nous voulons voir. Il est évident qu’un magistrat appelé à une constatation judiciaire se fera, après très peu de temps, une opinion sur la nature du crime, de l’accident, etc. Son opinion faite, il poursuivra dans ce sens la suite de son enquête sur les lieux. Il cherchera tout naturellement les indices typiques, souvent sans s’occuper d’autres petits détails. Il ne les voit pas même parce qu’il ne veut pas les voir. Là, de nouveau, l’appareil photographique est l’enregistreur qui voit tout et qui inscrit tout.

Notons encore la faculté de pouvoir retourner l’image photographique, retournement qui nous permet souvent de retrouver certains détails qu’on n’a pas retenus en examinant l’original. Un fait semblable se passe aussi en changeant la position de l’appareil photographique. En effet, les vues d’un bâtiment, par exemple, que nous sommes habitués à voir toujours depuis un certain endroit, partant dans une position unique et déterminée, nous deviennent souvent absolument méconnaissables si elles sont prises depuis un autre endroit que celui que nous occupons habituellement en contemplant le bâtiment.

2. L’image photographique, prise sur les lieux, servira à la démonstration pendant l’audience. L’aspect du lieu est la plupart du temps complètement inconnu à la majorité de ceux qui sont appelés à jouer un rôle au procès. La tâche de tous est singulièrement facilitée s’ils peuvent suivre les débats en ayant devant eux l’image des lieux où le crime a été commis et l’aspect de ces lieux immédiatement après la perpétration du forfait. Leur jugement même gagnera, dans bien des cas, en précision, partant sera plus juste.

3. L’image photographique d’un crime peut également exercer une influence psychologique soit sur l’inculpé lui-même, soit sur les juges. Le rapport le mieux fait ne rendra jamais aussi fidèlement les horreurs d’un assassinat qu’une photographie. Un des avocats parisiens les plus connus a si bien compris ce fait que, dans une affaire d’assassinat assez récente, il s’est élevé avec violence contre l’exhibition aux jurés des vues prises sur les lieux du crime. L’avocat, sentant l’effet désastreux pour son client, que produisaient ces photographies, était dans son rôle, mais certainement l’accusation aurait fait une grande faute si elle n’avait pas soumis aux juges ces vues photographiques qui remplissaient le double but de les éclairer sur l’état des lieux lors de la perpétration du crime et sur l’horreur du forfait commis. La photographie reproduisant exactement les faits réels, les juges, n’ayant pas assisté aux constatations sur les lieux, ont le droit, dans l’intérêt même de leur jugement, d’en prendre connaissance par la photographie et l’accusation a le devoir de leur procurer la possibilité de se rendre exactement compte de l’état des lieux en produisant des vues photographiques de ces lieux. Notons, du reste, que les photographies produites pendant l’audience ne jouent pas toujours un rôle accusateur, mais servent aussi quelquefois à décharger l’inculpé.

4. Enfin les petits détails, relevés photographiquement sur le lieu du délit ou du crime, tels que les empreintes de pas, les empreintes de lignes papillaires de la peau de la main ou des doigts, les taches de sang, etc. , peuvent servir à l’identification ou à la recherche du malfaiteur inconnu.

L’étude topographique des lieux comprend aussi la recherche des voies d’accès et également la recherche des empreintes de pas dont nous parlerons plus loin.

Cette étude une fois terminée, on procède, en cas d’assassinat à l’inspection du cadavre. Nous n’avons plus à insister sur l’importance de la position du cadavre. Celle-ci nous indique souvent d’une façon indiscutable si nous nous trouvons en présence d’un suicide ou d’un crime, et de quelle façon la victime a péri. Pourtant, nous sommes aussi souvent en présence de cas douteux, et là le médecin légiste, qui en dernier ressort est appelé à se prononcer sur la cause de la mort, ne peut jamais être assez circonspect. Il y a eu des cas, surtout dans des cas de pendaison, où la position du cadavre, son aspect extérieur, etc. , faisait croire à un suicide et où il s’agissait quand même d’un crime. Des détails, tels que l’herbe foulée au cours de la lutte que soutenait la victime avec son agresseur, de petites branches d’arbustes cassées, un tapis froissé, la présence de petites traces de plâtre apportées par les souliers de l’assassin sur le lieu où la présence de plâtre n’était pas possible, etc. indiquaient à l’observateur que la mort de l’individu était l’œuvre d’un habile criminel, qui avait su donner au cadavre l’aspect d’un suicidé. De telles recherches sont du domaine de la police scientifique et le médecin légiste, par l’étude de l’extérieur du cadavre et par son autopsie, et l’expert en police scientifique, si l’on peut s’exprimer ainsi, doivent collaborer ensemble à la fixation de la cause du décès d’un individu.

Il va sans dire que la position du cadavre devra être fixée photographiquement par des vues prises de différents côtés. Là aussi l’appareil métrique de Bertillon, qui nous donne directement sur l’épreuve les grandeurs, nous rendra de sérieux services. Le document photographique sera utilisé par le médecin légiste pour l’élaboration de son rapport et par l’enquête pour l’étude du cas.

Nous venons de parler de petits détails constatés sur les lieux et qui sont d’une très grande importance pour l’enquête. La connaissance de la valeur de ces détails et les méthodes de leur recherche font partie de la police scientifique. Des recherches de ce genre sont souvent fort difficiles et nécessitent des connaissances spéciales étendues. Ce n’est qu’à force d’observations et d’études de cas semblables qu’on arrive à faire du travail utile à l’enquête. Des expériences ultra fantaisistes comme celles avec le devin hindou et avec l’hyène dans les recherches du trop célèbre curé de Châtenay sont des enfantillages, sortis du cerveau d’un reporter avide de remplir les colonnes de son journal et que la magistrature ne devrait pas tolérer.

Conan-Doyle, dans ses fameuses aventures de Sherlock Holmes indique la valeur, pour la découverte du criminel, de nombre de petits détails relevés sur les lieux. Si aussi une grande quantité de ces observations sont du domaine de la fantaisie, quelques-unes ont une valeur pratique et ont été, en réalité, déjà appliquées, avec succès, dans des cas difficiles. Ainsi, la position de chaises ou meubles renversés pendant une lutte peut nous fournir quelques fois des indices précieux pour la détermination du genre de la lutte. L’herbe foulée, la direction des branches cassées nous montrent la direction de la fuite de l’assassin. Les petits éclats des bords d’une vitre cassée par un coup de feu nous renseignent sur la direction du chemin suivi par la balle. En cas de strangulation ou de ligature de la victime, la manière de faire les nœuds peut déceler le métier de l’agresseur.

Mais de tous les détails relevés sur les lieux ceux qui ont la plus grande valeur pour l’enquête et pour l’identification du délinquant, ce sont les traces d’outils ayant servi à l’effraction, les traces de sang, les empreintes de pas et les empreintes digitales.

Les traces laissées par l’instrument ayant été employé à l’effraction nous servent d’abord à la détermination du genre d’outil utilisé par le délinquant. Un pied de biche laissera, par exemple, une empreinte toute différente de celle d’un ciseau à froid, la pince-monseigneur en acier fin du cambrioleur de profession produira une trace toute autre que la mèche ébréchée du tailleur de pierre. La détermination du genre de l’outil peut même nous fixer sur le métier du délinquant. Les traces laissées par des instruments en mauvais état nous fourniront un moyen d’identification du criminel, car les défectuosités du tranchant de tel ou tel outil trouvé sur lui, s’adapteront exactement aux inégalités de la trace de pesée constatée sur les lieux.

Les serrures des portes et meubles feront aussi l’objet d’un examen attentif, car telle serrure, dont le dehors ne montre aucune trace d’effraction, une fois démontée nous fera constater des égratignures à des endroits où la clef ne peut pas toucher, égratignures ne pouvant provenir que par l’introduction d’un rossignol dans la serrure.

Les traces de sang nous renseigneront sur nombre de points intéressant au plus haut degré l’instruction. Ainsi une grande flaque de sang par terre et loin du cadavre de la victime, montre que celle-ci est tombée une première fois et qu’elle s’est relevée pour retomber plus loin.

La forme oblongue des traces de sang permet immédiatement à l’examinateur de conclure que celui qui a perdu ce sang par une blessure, était en mouvement. De plus, étant donné que dans les traces de gouttes de sang, l’axe le plus long est toujours dans la direction du mouvement et que les éclaboussures latérales ne se trouvent également que dans cette direction, il est facile de suivre le chemin pris par la victime. Quelquefois même, ces traces peuvent nous renseigner sur l’antériorité ou la postérité de telle ou telle blessure.

Par exemple, nous trouverons un cadavre avec deux blessures, une par contusion et n’affectant aucun gros vaisseau artériel, l’autre affectant une artère importante. Ce cadavre est à quelques mètres d’un mur et depuis une certaine distance de ce mur jusqu’au cadavre nous relevons de nombreuses gouttes de sang. Sur le mur même, nous constatons à une hauteur assez élevée, des giclées de sang. La question se posera maintenant : la victime a-t-elle reçu la blessure artérielle une fois étendue par terre ou loin de la place où elle a été trouvée ? Nous nous rappellerons maintenant que le sang s’échappant de blessures affectant les veines, s’écoule sans force de la plaie, pendant que les blessures des artères donnent un jet par saccades, plus ou moins haut, suivant la nature du vaisseau sanguin atteint. Les giclées contre le mur ne pouvant donc provenir de la blessure par contusion, elles sont produites par la blessure artérielle, par l’orifice de laquelle le sang a été projeté jusqu’au mur. La victime avait donc reçu cette blessure près du mur et s’est transportée de là jusqu’à l’endroit où elle est tombée. Inutile d’insister sur la valeur, dans certains cas, de telles constatations.

Les traces de pas nous renseignent en premier lieu sur la direction de la marche de la victime ou de l’agresseur, mais elles nous disent encore beaucoup plus. En effet, nous pouvons reconnaître par elles, si l’individu qui les a produites, marchait au pas, courait ou restait sans bouger. Deux séries de traces de pas, identiques par la grandeur de l’empreinte de chaque pied, l’une se dirigeant vers la maison cambriolée, l’autre s’en éloignant, mais la seconde montrant des distances longitudinales beaucoup plus petites d’un talon à l’autre, que la première, et en même temps des distances latérales beaucoup plus importantes, nous démontrera que le cambrioleur, après sa sortie de la maison, portait une lourde charge qui le forçait à chercher une base plus solide en écartant les jambes. Les traces de pas peuvent nous indiquer, en outre, la position sociale de l’individu qui les a laissées. Le paysan est autrement chaussé que le citadin, le trimardeur porte d’autres « ribouis » que le barbillon « d’une marmite bien nippée ». Le ferrage des souliers a également son importance pour la détermination de l’identité de celui qui a produit les empreintes constatées sur les lieux. Le ferrage « à la napolitaine » des souliers des ouvriers italiens est tout différent de la disposition des clous ou des « taches » des sabots de nos paysans vaudois.

Les empreintes de pas peuvent dans maints cas être utilisées pour l’identification directe du délinquant. Nous possédons en effet, aujourd’hui des méthodes pour procéder à une mensuration exacte des dimensions d’une empreinte trouvée.

Nous avons finalement encore à signaler les empreintes des doigts. En touchant un objet à surface plane et uniforme avec des doigts enduits de sang ou d’une autre matière colorante, on ne provoque nullement une tache uniforme avec des contours plus ou moins nets, mais une image fidèle des lignes papillaires de la peau des doigts. Le dessin de ces lignes sera d’autant plus net que la quantité de sang sur les doigts sera moindre. Maintenant il est prouvé, par les travaux de Galton, Henry, Bertillon, Vucetich, etc. qu’il n’y a pas deux hommes possédant la même forme et la même direction des lignes papillaires des doigts ou de la paume de la main. Ces empreintes sont donc un puissant moyen d’identification. Mais ces empreintes ne sont pas toujours rendues visibles par le sang ou une autre matière colorante. Il y a encore d’autres, à peine visibles et qui sont formées uniquement par la matière grasse qui se trouve toujours à la surface de la peau. De telles empreintes peuvent être relevées sur du verre, du bois poli, en général, sur tout objet présentant une surface homogène et polie et n’absorbant pas, ou très peu, les matières grasses. Nous avons aujourd’hui des procédés nous permettant de déceler de telles empreintes et de les fixer, pour l’identification, sur la plaque photographique.

De telles empreintes sont très importantes pour les recherches judiciaires, car grâce à elles, nous n’avons pas seulement un moyen de contrôle, si tel ou tel individu suspect est vraiment l’auteur du crime ou du délit, mais, avec le classement dactyloscopique moderne, nous pouvons même retrouver, parmi des milliers, le coupable. Rappelons seulement pour mémoire, les cas Scheffer et Le Gall où M. Alphonse Bertillon, avec les seules empreintes, a pu déterminer l’identité des assassins.

La police scientifique nous enseigne les méthodes de conservation de toutes ces traces, leur recherche, leur signification et leur emploi comme moyen d’identification.

Sur les lieux nous avons encore à nous occuper des pièces à conviction proprement dites, c’est-à-dire des pièces qui ont joué un rôle dans la perpétration du crime et du délit. De telles pièces sont, par exemple, l’arme ayant servi pour un assassinat, les instruments ou matériaux utilisés pour la fabrication de la fausse monnaie, les outils employés pour une effraction, etc. Leur recherche n’est pas toujours aisée. Souvent les délinquants les cachent dans des endroits peu suspects de les contenir : derrière le papier peint des murs peuvent se trouver des documents compromettants, le parquet peut contenir des outils, des papiers gênants sont souvent brûlés dans les poêles etc. L’étude de la police scientifique nous renseignera de nouveau sur la manière dont il faut procéder à la recherche de ces pièces et sur les procédés de reconstitution des objets détériorés, des lettres brûlées par exemple. Ainsi elle nous indiquera que dans les perquisitions chez les faux-monnayeurs nous devrons trouver des piles électriques, du plâtre, du métal : étain, antimoine, plomb et quelques fois du zinc, de la colophane, des solutions de sels d’argent etc. ; elle nous dira, que dans les perquisitions pour fabrication de faux documents, il faut fermer soigneusement les bascules des poêles pour empêcher que des papiers carbonisés puissent s’envoler par la cheminée etc.

Les méthodes scientifiques jouent encore un très grand rôle dans la recherche des faux en écritures et délits similaires. L’expert en police scientifique se servira, dans ces cas, surtout de la photographie. En effet, la plaque photographique est plus sensible que notre œil pour certaines différences de couleurs, et elle enregistre, parfaitement visibles pour nous, des détails complètement invisibles à notre organe visuel sur l’original.

Cette particularité des émulsions photographiques a été utilisée, depuis assez longtemps déjà, pour arriver à leurs fins par les experts chimistes, incapables de trouver sûrement, par l’examen chimique, des ratures, des surcharges, etc. , sur des pièces écrites.

Les Bertillon, Sonnenschein, Jesserich, Denstedt, Minovici, Persifor Fraser, Schoepff, Voigtlander, etc. , et nous-mêmes ont travaillé au perfectionnement de l’analyse photographique et aujourd’hui nous pouvons dire, presque dans tous les cas : s’il y a faux nous le découvrirons.

L’expertise photographique d’une pièce écrite peut être faite dans deux buts :

1.     Pour chercher une falsification faite sur cette pièce.

2.     Pour comparer ensemble deux écritures.

Dans le premier cas l’expert devra résoudre les questions principales suivantes :

1.     A-t-on enlevé mécaniquement ou chimiquement des traits sur le document ? à la place des traits enlevés, en a-t-on ajouté d’autres ?

2.     Deux ou plusieurs traits se trouvant sur le même document sont-ils écrits avec la même encre, le même crayon, etc. , ou avec des encres, crayons, etc. , différents ?

3.     Des traits se trouvant sur le même document sont-ils écrits en même temps ou à des époques différentes, et, dans ce dernier cas, laquelle des écritures est la plus ancienne ?

4.     Le document contient-il entre les lignes un texte illisible produit par l’application d’encres sympathiques, de la salive, du lait, etc. ?

5.     Les sceaux et timbres officiels se trouvant sur le document sont-ils authentiques ou des contrefaçons ?

Ce sont là les cinq questions principales qui sont ordinairement posées à l’expert en cas de faux, mais il a encore, dans certains cas spéciaux, d’autres questions à résoudre. Ainsi il se trouve souvent dans la position de devoir répondre à la question suivante :

« Quel était le texte d’un document devenu illisible par une cause voulue ou accidentelle, telle que l’action de l’eau, du feu, des taches d’encre, de couleur, etc. ? »

C’est surtout la reconstitution photographique des documents brûlés qui devient souvent importante pour l’enquête, comme par exemple dans l’affaire des incendies de la Côte.

Mentionnons encore à cette place les décharges invisibles des encres nous permettant de rétablir le texte d’un document disparu s’il a été en contact avec un papier qui se trouve en notre possession.

Dans tous ces cas ce sont les méthodes de photographie scientifique qui nous permettent d’arriver à la solution du problème. L’analyse photographique sera souvent combinée avec une analyse chimique. Inutile d’ajouter que le microscope joue un très grand rôle dans toutes ces analyses, soit photographiques, soit chimiques.

La comparaison scientifique de deux ou plusieurs écritures fait également partie du domaine de la police scientifique. Il est bien entendu qu’il ne faut pas confondre la comparaison scientifique avec la graphologie. Cette dernière reste encore une occupation de dilettante, malgré la fiche de consolation que donne aux graphologues Alfred Binet dans son intéressant livre : Les révélations de l’écriture en disant que « dans la graphologie il y a quelque chose de vrai ». En sortira-t-elle une fois de cet état ?

La comparaison d’écritures comporte une étude méthodique de la formation des écritures à comparer et la recherche des signes typiques tels que l’inclinaison de l’écriture, la base des mots, le renflement des traits, etc. L’expert examinera tout spécialement à l’aide de la photographie, éventuellement du microscope, les petits détails de l’écriture, car, s’il est assez aisé de contrefaire une écriture dans ses traits principaux, le faussaire ne parviendra pas, en cas d’écriture à main libre, à imiter les petits détails presque invisibles à l’œil nu, tels que la descente ou la remontée des traits sous ou sur la ligne, etc. L’étude du papier-support et des encres est également indispensable.

Font partie aussi de la comparaison d’écritures les recherches faites dans le but de savoir si une signature ou une petite phrase est écrite à main libre ou si elle est décalquée d’un original.

Nous n’hésitons pas à déclarer que la comparaison d’écritures, s’il ne s’agit pas d’un vulgaire décalque, qui est facilement découvert avec sûreté par un expert exercé, est souvent fort délicate. Dans maints cas, il ne nous est pas possible d’apporter à l’enquête des preuves irréfutables et tangibles comme, par exemple, dans les cas de faux par grattage, surcharge, etc. , et nous devons dire alors aux juges : « L’étude méthodique et approfondie des écritures à examiner nous a convaincu que les documents incriminés proviennent de tel ou tel individu, mais nous ne pouvons pas vous apporter la preuve irréfutable de ce fait. Si donc vous avez, à côté de notre expertise, d’autres preuves ou de très forts indices contre l’individu inculpé, condamnez-le. Si, par contre, notre expertise est la seule charge contre lui, vous ne pouvez pas le condamner. »

N’oublions pas de citer à cette place l’examen des billets de banque et des titres en général. La contrefaçon des billets de banque est assez répandue dans certains pays et les faussaires sont souvent fort habiles, de sorte que les produits de leur criminelle activité circulent longtemps au détriment de la richesse publique. Nous avons là aussi dans la photographie un moyen de reconnaître les falsifications.

Enfin, il serait trop long d’énumérer ici tous les cas spéciaux où les méthodes scientifiques permettent de découvrir la vérité ou d’aider le magistrat enquêteur dans son travail. Disons seulement qu’ils sont fort nombreux.

La recherche de l’identité et le signalement forment un chapitre très important de la police scientifique. La fixation de l’identité d’un individu et la possibilité d’en donner un bon signalement jouent, en effet, un très grand rôle dans les enquêtes judiciaires et policières. Beaucoup de récidivistes savent « se faire la tête » de telle façon que pour le public ils paraissent être des inconnus. Et pourtant il faut trouver l’identité de cet inconnu, ou, s’il a pris un faux nom, trouver son véritable nom. Il y a quelque trentaine d’années, la police, dans ces cas, était réduite à se fier à la bonne mémoire de ses agents ou de procéder à des recherches longues et coûteuses qui souvent n’étaient pas couronnées de succès. Plus tard, on avait recours à la photographie pour faciliter les recherches d’identité. On confectionnait des portraits de tout criminel de marque, portraits qu’on classait, par genre de délits, dans des albums, les Verbrecher-Albums des Allemands. Mais ce classement était défectueux et, en outre, le nombre des photographies augmentait dans une telle proportion que les recherches dans ces albums devenaient difficiles, sinon impossibles à effectuer. Aujourd’hui, nous sommes en possession de trois systèmes scientifiques qui permettent d’identifier rapidement et sûrement un individu et d’en donner un signalement précis. Le premier système est le système anthropométrique combiné avec le portrait signalétique de profil et de face. Ce système, connu sous le nom d’anthropométrie signalétique, est dû à M. Alphonse Bertillon. Il est le produit d’un long et patient travail, et c’est à M. Alphonse Bertillon seul que revient l’honneur et le mérite d’avoir doté l’humanité d’un mode d’identification ayant donné, dès sa création, des résultats tels que presque tous les gouvernements l’ont introduit dans leurs pays.

L’anthropométrie signalétique de M. Bertillon repose sur les trois données suivantes :

1.     La fixité à peu près absolue de l’ossature humaine à partir de la vingtième année d’âge. En effet, c’est seulement le fémur qui continue à croître faiblement, mais cet accroissement est compensé par l’incurvation de la colonne vertébrale.

2.     La diversité extrême de dimensions que présente le squelette humain comparé d’un sujet à l’autre. Il est impossible de trouver deux individus possédant une ossature identique.

3.     La facilité et la précision relatives avec lesquelles certaines dimensions du squelette sont susceptibles d’être mesurées. Les mensurations se font avec des instruments spéciaux et de précision d’une construction très simple.

La classification des fiches se fait à l’aide des mesures relevées. En divisant chaque mesure en trois embranchements : petit, moyen, grand et en choisissant les valeurs de ces embranchements de telle sorte que les fiches s’y trouvant soient à peu près en nombre égal, on arrive facilement à retrouver, par élimination, une fiche déterminée.

Les indications numériques des fiches anthropométriques sont encore accompagnées par quelques signalements descriptifs tel que la couleur de l’iris de l’œil, la teinte des cheveux, et par l’énumération de marques particulières comme des cicatrices, tatouages, etc. Finalement chaque fiche porte le portrait photographique de profil et de face de l’individu visé.

Le second système d’identification et de signalement est celui du portrait parlé. Système qui a également comme auteur M. Alphonse Bertillon.

Le portrait parlé est la description exacte des éléments de la figure humaine à l’aide d’un vocabulaire spécial. L’élaboration d’un vocabulaire spécial a été nécessaire puisque notre langage ordinaire ne dispose, la plupart du temps, que des mots désignant les cas extrêmes, bien tranchés. Les cas intermédiaires sont généralement désignés par les qualificatifs : commun, moyen, ordinaire, expressions qui ne nous donnent qu’une idée vague de la conformation d’un élément de la figure humaine, le nez par exemple ; ces indications, non utilisables pour l’identification d’un individu, nous les rencontrons encore journellement sur des passeports, permis de chasse, voire même sur des signalements policiers. Grâce à M. Bertillon, nous possédons aujourd’hui un vocabulaire spécial nous servant à la description de la figure humaine.

Ce vocabulaire n’est pas seulement utile pour l’élaboration du signalement exact d’un individu, il est nécessaire aussi pour la reconnaissance d’un être inconnu. En effet, on nous donne une photographie d’un individu inconnu, se trouvant en liberté, en nous chargeant de le rechercher et, après l’avoir trouvé, de l’arrêter. Dans la rue ou dans une salle, il nous est impossible de comparer les figures de tous les individus s’y trouvant avec l’image photographique que nous possédons. Nous devons alors étudier, avant nos recherches, cette photographie, pour ainsi dire l’apprendre par cœur, et ensuite mentalement, confronter cette image gravée dans notre cerveau avec les figures des assistants. Or, il n’est pas possible de graver dans son cerveau une image si l’on ne peut pas en donner une description verbale. M. Bertillon dit à ce sujet dans un de ses ouvrages. « Aussi longtemps que telle particularité d’anatomie externe, dont la présence suffirait à elle seule pour faire reconnaître un individu entre mille, n’aura pas reçu un nom qui permette d’en emmagasiner dans la mémoire la forme et la valeur signalétique, elle restera non perçue et sera comme si elle n’existait pas. On l’a dit, il y a longtemps : nous ne pensons que ce que nous pouvons exprimer par la parole. Il en est de même de la vue : nous ne pouvons revoir en pensée que ce que nous pouvons décrire. »

A l’aide du vocabulaire spécial, l’agent chargé de rechercher et d’arrêter un criminel peut, après avoir étudié la photographie, réciter et décrire de mémoire la figure de l’individu recherché. Il n’a pas même besoin d’une photographie, il lui suffit d’être en possession d’une fiche, dite « fiche du portrait parlé » portant en abréviations la description, suivant le vocabulaire spécial, de la figure de l’individu qu’il doit arrêter.

            Le « portrait parlé » permet également un classement par la forme et la direction de certains éléments de la figure humaine. Le classement a trouvé son application pratique et extrêmement ingénieuse dans les D. K. V. , c’est-à-dire dans des albums contenant les portraits d’individus signalés.

            Enfin, le troisième système d’identification est le système dactyloscopique. Comme je l’ai déjà dit, il n’y a pas deux hommes possédant la même forme et la même direction des lignes papillaires des doigts. Ces lignes peuvent donc nous servir à l’identification d’un individu. L’identification par empreintes digitales ne date pas d’aujourd’hui, elle est, au contraire, très vieille. Mais ce n’est que ces derniers temps, grâce aux travaux des Galton, Henry, Bertillon, Vucetich, Windt et Roscher, que nous possédons des méthodes permettant un classement rationnel et une identification sûre. Malheureusement les services d’identification qui se servent des empreintes digitales comme moyen de classement n’utilisent pas tous la même méthode, au contraire, chacun emploie la sienne, différente de celle du voisin. Il en résulte de la différence des méthodes des inconvénients nombreux. Une conférence internationale devrait faire là œuvre d’unification !

            Disons encore que certains croient pouvoir remplacer complètement le système anthropométrique par le système dactyloscopique prétextant que les mesures anthropométriques sont trop longues et leur prise trop difficile pour de simples agents. Nous ne sommes pas de cet avis. Les mensurations, avec un peu d’exercice et de soins, sont rapidement exécutables avec précision. En outre, la fiche anthropométrique contenant encore les empreintes digitales nous avons dans ce système deux garanties : les mesures et les empreintes, et en matière d’identification on ne prend jamais trop de précautions. Il nous semble plutôt que les recherches d’identité par empreintes digitales seules sont délicates et qu’il faudrait pour cela un personnel très bien choisi.

            Mentionnons encore comme systèmes d’identification spéciaux la reconstitution du signalement anthropométrique au moyen des vêtements, système dû à M. le Dr. Georges Bertillon, frère de M. Alphonse Bertillon, et la reconnaissance des cadavres inconnus.

Nous avons dit, au commencement de notre leçon, que la connaissance du mode de travail des différentes catégories de criminels, connaissance obtenue par l’étude « sur le vif » du monde des malfaiteurs, faisait également partie de la police scientifique.

En effet, comment pourrions-nous arriver à découvrir les crimes ou les criminels, si nous ne connaissions pas le monde où se recrutent les criminels, leurs habitudes, leur mode de travail, leurs instruments de travail etc.

Mais cette connaissance ne peut pas s’acquérir par l’étude des statistiques ou en interrogeant des prisonniers, car tous ceux qui connaissent pratiquement le monde criminel savent quelle valeur on peut attribuer aux indications, fournies par un criminel en prison, sur son genre de vie, ses penchants, etc. Ces indications dans la majorité des cas, devraient être reléguées dans le chapitre des « blagues » sans aucune autre valeur que celle de prouver que les criminels aiment à se moquer de ceux qui prétendent les étudier en les questionnant comme un simple écolier.

Non, l’étude pratique du monde criminel doit se faire en visitant la pègre chez elle, en causant aux « apaches » dans leur langage, en étudiant leur genre de travail et les outils qu’ils utilisent.

Ainsi nous saurons que, comme dans le monde honnête, le monde criminel a ses spécialistes n’exécutant qu’un certain genre de travail.

Nous saurons aussi que fort souvent, nous dirions volontiers dans deux tiers de ces cas, le criminel ne travaille pas solitairement mais il est associé avec d’autres individus de son espèce pour exercer sa profession nuisible.

Les faux-monnayeurs, par exemple, ne travaillent presque jamais seuls. C’est toujours une bande organisée, où chaque membre a son emploi bien spécifié : l’un fabrique les pièces fausses, les autres ne font rien que de les « charrier » c’est-à-dire de les transmettre, une à une, à un troisième qui est chargé de les écouler.

Cette étude nous donnera également des renseignent fort précieux sur les « bandes internationales » qui se multiplient d’une façon inquiétante avec les facilités de déplacement que nous procurent nos voies de communications modernes.

La police scientifique nous apprend à connaître les instruments de travail des criminels et leur emploi : elle nous enseigne, par exemple, que, pour fabriquer la fausse monnaie, les faux-monnayeurs préparent, d’une façon spéciale, des moules en plâtre et qu’ils coulent, dans ces moules, un mélange d’étain, d’antimoine et, quelquefois, de plomb.

En résumé, l’étude pratique et non théorique du monde criminel, étude qui fait partie de la police scientifique, nous procure des connaissances fort utiles pour les enquêtes d’ordre judiciaire ou policier. Et c’est cela précisément ce qui différencie la police scientifique de l’anthropologie criminelle proprement dite.

La police scientifique nous donne des notions pratiques pouvant être utilisées directement dans les recherches d’identité, de faux, etc. , en général, dans les recherches judiciaires ou policières. L’anthropologie criminelle proprement dite, par contre, nous donne des notions théoriques, se basant encore souvent sur des statistiques d’une valeur douteuse, dont la possibilité d’une application pratique dans les enquêtes est minime. Nous parlions de l’anthropologie criminelle proprement dite, car on a englobé, dès son apparition, la police scientifique dans l’anthropologie criminelle générale. Pour bien marquer la différence entre les deux branches, l’une plus ou moins théorique, l’autre essentiellement pratique, nous appelions donc la première : anthropologie criminelle proprement dite, la seconde : police scientifique.

Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. Nous ne voulons nullement amoindrir le mérite et la valeur de l’anthropologie criminelle proprement dite, qui a puissamment contribué à nous éclairer sur la responsabilité des criminels et qui, par cela, rend plus justes nos législations. Ce que nous voulons montrer, c’est que ces deux branches de l’anthropologie criminelle ont un but tout différent l’un de l’autre : l’une, la connaissance, un peu théorique, de la personne du criminel au point de vue anatomique, biologique, psychologique, etc. , l’autre, l’étude pratique des criminels et des crimes, en vue de trouver les moyens de les découvrir et d’identifier leurs auteurs.

Il nous reste à examiner qui sont les personnes appelées à étudier la police scientifique.

Nous avons naturellement là, en première ligne les experts spéciaux dont le rôle consiste à aider le magistrat et la police dans leurs recherches. C’est à eux de rechercher sur les lieux les traces, capables d’amener la découverte du criminel, et de les utiliser ensuite pour l’identification. L’activité des experts en police scientifique comprend l’application de toutes les méthodes scientifiques dont nous avons parlé au cours de cette leçon. Cette activité est donc très variée, et demande une longue préparation, scientifique et pratique, d’un ordre tout spécial. Disons seulement que ces experts sont les intermédiaires scientifiques, pour ainsi dire, ils forment le pont, entre la police et le magistrat enquêteur. Ils sont, en outre, appelés souvent à collaborer avec le médecin légiste.

Certains chapitres de la police scientifique, comme celui de l’identification par signalement anthropométrique, dactyloscopique et par le portrait parlé, celui de la conservation des traces, etc. , seront enseignés aux agents de police. En effet, l’éducation de nos agents de police, surtout celle des agents de la Sûreté, devra aujourd’hui également être modernisée, si nous voulons faire une guerre efficace aux malfaiteurs.

Enfin, ceux qui profiteront surtout de l’enseignement de la police scientifique, ce sont les futurs juges d’instruction, juges et mêmes les avocats.

Non pas que nous ayions la prétention d’en faire des spécialistes capables d’expertiser, suivant toutes les règles de l’art, un faux en écriture. Ce que nous voulons, c’est leur montrer le monde qu’ils auront à juger, à enquêter, à défendre, dans leur carrière future. Nous leur signalerons le mode de travail des différentes catégories de malfaiteurs, pour qu’ils soient, dès le commencement, à même de trouver la voie à suivre pour découvrir les coupables. En leur signalant, par exemple, les différentes méthodes pour découvrir les faux en écritures, etc. , le futur juge ou magistrat enquêteur sera en état de contrôler le rapport de l’expert, chargé, par lui, de découvrir la vérité. Il saura ainsi quelle valeur il peut attribuer à ce rapport. L’avocat lui aussi, a tout intérêt de pouvoir suivre le raisonnement de l’expert spécialiste et il ne le pourra, qu’en connaissant le principe des méthodes d’expertise scientifique enseignées par la police scientifique.

Juges, magistrats enquêteurs, avocats, savent ainsi, s’il faut avoir recours à l’expert et avec quelle chance de succès. Les notions de police scientifique sont donc fort utiles, nous dirons volontiers indispensables, aux futurs hommes de loi. Des hommes compétents ont si bien compris ce fait, qu’au dernier congrès d’anthropologie criminelle à Turin, ils ont fait voter, par le congrès, le vœu que l’enseignement de la police scientifique fasse dorénavant partie du programme de l’enseignement universitaire. Deux universités italiennes et la nôtre ont devancé ce vœu. En effet, nous avons donné, au titre de chargé de cours, un cours de photographie judiciaire et de police scientifique déjà depuis le semestre d’été 1902.

Cette année, notre gouvernement et l’université voulant définitivement sanctionner l’enseignement de cette matière, ont créé la chaire officielle de photographie scientifique avec application aux recherches judiciaires. Que notre enseignement soit profitable à nos futurs hommes de science et juristes[1].

Publié aussi in: Quinche Nicolas, éd., "Crime, science et identité: anthologie des textes fondateurs de la criminalistique européenne (1860-1930)", Genève, Slatkine, 2006, pp. 25-39.

[1] Rodolphe-Archibald REISS, « Les méthodes scientifiques dans les enquêtes judiciaires et policières », in Archives d’anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique, t. XXI, 1906, pp. 857-876.



24/12/2011

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