Photographie judiciaire - Bertillon 1890 - introduction
La photographie judiciaire, A. Bertillon (1890)
INTRODUCTION
L’organisation, à la Préfecture de Police, d’un système scientifique d’identification par le moyen des signalements anthropométriques a eu comme conséquence d’entraîner des modifications importantes dans la façon de prendre les photographies des malfaiteurs.
Jusqu’à ces sept dernières années, ce service avait été abandonné aux inspirations d’un personnel de praticiens, excellents d’ailleurs, qui avaient transporté dans cette branche les traditions artistiques, mais par cela même indéterminées, de la Photographie commerciale.
Appelé par nos fonctions à préciser et à dogmatiser une partie de leur Manuel opératoire, nous avons eu la satisfaction de voir nos indications suivies de point en point par la Police des pays qui, comme la Belgique, la Russie, les Etats-Unis, la République Argentine et la Tunisie, ont adopté ce nouveau signalement.
Il nous a semblé qu’il n’y avait que des avantages à développer les considérations qui nous ont guidé, dans un opuscule accessible au public. L’efficacité de ces règles ne saurait être en quoi que ce soit compromise par leur vulgarisation. Bien plus, nous avons lieu de croire que la publicité que nous leur donnons ici aidera à leur extension. Encore maintenant, nous recevons journellement des pays étrangers et même de certains Parquets de province, des demandes de renseignements accompagnées de photographies, souvent très artistiquement prises par des photographes en renom, mais où, par cela même, les renseignements que nous sommes en droit d’attendre d’un document de ce genre, loin d’avoir été mis en évidence, ont été effacés comme à plaisir.
Dans les portraits artistiques et commerciaux, les questions de mode et de goût dominent tout. La Photographie judiciaire, dégagée de ces considérations, nous permet d’envisager le problème sous un aspect plus simple: quelle pose est théoriquement la meilleure pour tel ou tel cas?
Toute photographie de portrait est faite pour être reconnue, c’est là une vérité de M. de la Palisse. Mais nulle part l’acte de la reconnaissance ne se fait d’une façon plus brutale que dans l’exercice de la Photographie judiciaire : soit que l’on montre à un cheval de retour l’ancienne photographie qui va permettre de reconstituer ses antécédents judiciaires, soit que, dans une enquête, on cherche à faire reconnaître par des témoins le criminel dont on a été amené à soupçonner la culpabilité.
Qu’il s’agisse d’un dangereux récidiviste se dissimulant sous un faux nom, ou d’un cadavre d’inconnu déposé à la Morgue, ou d’un enfant en bas âge égaré intentionnellement, ou d’un aliéné arrêté sur la voie publique et s’obstinant, par suite de craintes imaginaires, à cacher sa personnalité, ou d’un malheureux frappé dans la rue de paralysie subite et incapable d’énoncer son nom et son adresse, le but visé est toujours une question d’identification, et le moyen d’action, la Photographie.
Elle prête à la justice criminelle un concours puissant, qui lui permet, jusqu’à un certain point, de lutter contre les facilités qu’offre aux malfaiteurs la rapidité des communications jointe à l’abolition d’un grand nombre de mesures de surveillance administrative (suppression des passeports, livrets, licences de débitants de boisson et de colporteurs, etc.).
Nos conseils sur la façon de diriger une enquête avec l’aide de la Photographie, sur le choix entre les poses de face ou de profil, en pied ou en buste, sur les différentes manières de présenter une photographie aux témoins, etc., n’ont d’autres prétentions que de coordonner les réflexions que la pratique et le bon sens apprennent à tout le monde.
Certes, nous ne nions pas l’arbitraire de quelques-unes des règles que nous avons établies. Mais il est indiscutable que l’uniformité des types de portraits déposés dans les archives des greffes judiciaires et pénitentiaires est une nécessité presque matérielle qui tend grandement à faciliter les comparaisons et les identifications, et qu’en conséquence l’observation des instructions qui ont déjà servi à la confection de plus de 100000 portraits ajoute certainement de sérieuses garanties de succès aux essais de Photographie judiciaire.
A l’aide de ce Manuel, le Photographe de profession, fournisseur du Palais de Justice de la localité, arrivera le plus aisément du monde à réaliser nos différents types de Photographie, sans aucun surcroît ni de dépenses, ni de matériel.
Les photographes amateurs qui font des collections de types ethniques, professionnels ou pittoresques, auront tout avantage à adopter nos formats, poses et échelles de réduction calculés pour obtenir le maximum d’effet utile avec le minimum de dépenses.
Quelle raison, par exemple, un anthropologiste aurait-il de choisir le profil de droite de préférence à celui de gauche pour l’établissement de sa collection photographique ? Nous croyons que le seul fait, que les assassins de ces sept dernières années ont été photographiés de profil, côté droit, sera à ses yeux une raison déterminante, et qu’il voudra à l’avance se ménager la possibilité d’établir des photographies composites, ou des profils moyens comparables avec ces collections accessibles au public scientifique et dont il est possible de retrouver les éléments dans les journaux illustrés de l’époque.
En un mot, nous essayerons d’indiquer à notre lecteur la façon de faire une photographie judiciaire et les moyens de s’en servir ; nous le promènerons à travers un atelier judiciaire installé d’après nos principes. Nous ferons suivre ces Chapitres d’un résumé dogmatique des règles que nous aurons discutées dans le courant de ce Volume et nous finirons par un petit aperçu sur l’Anthropométrie signalétique qui est l’auxiliaire indispensable de toute Photographie judiciaire[1].
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