Déformations professionnelles des mains - 1888
L’identification par les déformations professionnelles des mains (1888)
Académie des sciences (Séance du 26 mars 1888)
PONCET (de Lyon). – Sur une nouvelle déformation des mains chez les ouvriers verriers (mains en crochets). – Il existe chez les ouvriers verriers une déformation professionnelle des mains sur laquelle l’attention n’a pas encore été appelée jusqu’à présent.
Cette déformation, observée pour la première fois chez un jeune homme entré à l’Hôtel-Dieu, est caractérisée par une flexion permanente très prononcée des doigts sur la main. Le petit doigt et l’annulaire sont plus fléchis que le médius et l’index ; le pouce est indemne.
La flexion porte surtout sur la deuxième phalange qui est inclinée presque à angle droit sur la première phalange. Elle n’est point due à une sclérose du derme ou à des brides profondes, mais à une rétraction des tendons fléchisseurs et plus particulièrement du fléchisseur superficiel. Ce diagnostic s’impose par un examen attentif des doigts, alors surtout que le malade a été anesthésié.
Les articulations phalango-phalangiennes sont plus ou moins déformées avec tendance à la subluxation. Les doigts sont inclinés sur le bord cubital et ne peuvent plus être redressés.
La peau de la face palmaire et des doigts est un peu plus épaisse, plus calleuse, qu’on ne l’observe chez les manouvriers.
La déformation des mains est connue parmi les ouvriers verriers sous le nom de main en crochet, main fermée. Elle survient au bout de peu de temps et s’accroît progressivement.
Il résulte des recherches faites par un des internes de M. Poncet M. Etienne Rollet, qui s’est transporté dans plusieurs verreries, que la plupart des ouvriers verriers présentent cette lésion, et que celle-ci est d’autant plus marquée qu’ils sont verriers depuis plus longtemps.
Le mécanisme de cette déformation des mains est facile à comprendre. En effet les ouvriers verriers qui soufflent le verre, emploient une canne ou tube en fer, longue de 1m20, et du poids de deux kilogrammes, canne à laquelle ils impriment un mouvement rapide de rotation, les mains fermées.
La durée du travail est de huit heures par jour ; pendant ce temps un bon ouvrier fabrique, en moyenne, 600 à 700 pièces, de sorte que ses doigts ne quittent pas la canne qu’ils enserrent.
Aussi dès les premiers mois l’extension complète de la main devient-elle difficile et, après un temps variable, la rétraction s’accuse-t-elle progressivement et entraîne-t-elle la flexion permanente des doigts, laquelle persistera pendant toute la vie de l’ouvrier.
Quant à l’épaississement du derme, il est le résultat d’une dermite chronique produite, soit par la pression de la canne, soit par la chaleur parfois considérable que lui communique la boule de verre en fusion.
La profession de verrier est extrêmement pénible ; elle est remplie par des hommes jeunes qui, vers l’âge de trente-cinq ans, sont obligés de l’abandonner.
La main en crochet est spéciale à l’ouvrier verrier et ne se rencontre dans aucune autre profession manuelle.
Cette déformation compromet gravement l’usage des mains ; elle a été souvent une cause d’exemption du service militaire. Elle intéresse le clinicien, le médecine légiste et mérite de prendre place à côté de certaines lésions professionnelles caractéristiques[1].
[1] Compte-rendu in Archives de l’anthropologie criminelle et des sciences pénales, t. III, 1888, pp. 291-292.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 13 autres membres